Meeting point: directly at 15:00 at La Friche Josaphat - 152 avenue Gustave Latinis, 1030 Schaerbeek
Or from 13:30 in front of Les Halles de Schaerbeek for a tuk-tuk ride (subject to availability).
On vous partage un extrait du recueil Jusqu'à l'arbre de Geneviève de Bueger :
Quand a priori personne n’a voulu de toi, tu t’installes où c’est possible. Où se trouve la nourriture. Où tu at- terris. Tu ne demandes pas grand-chose. Tu ne prévois pas qu’on te donne quoi que ce soit. Tu prends une place à la taille de ton corps. Ta vie s’impose comme ça.
L’exubérance timide de la friche au sortir de l’hiver, ces entrelacements de veines, ce nœud de couleurs en- core pâles, cet ordonnancement qui n’obéit à aucune autre règle que de vivre à sa façon, mais avec les autres, t’étonnent. Mais ce qui t’étonne encore plus, devant ce fouillis, c’est qu’en lui tu te reconnaisses. Ces jets timides sont les mêmes dans ton ventre, sous ton grand corps de caverne. Devant toi, ta force cachée sous tes vêtements et sous cette carcasse humaine apparaît au grand jour, cintrée dans ce manteau de haie, ces atours de pelouse.
Avant, nous bâtissions des murs autour de la ville pour nous séparer du monde opaque et imaginaire de la forêt. Aujourd’hui, nous plantons des micro-forêts sauvages au cœur de la ville pour nous sauver de notre époque et de l’urgence climatique.
Dans la forêt primaire, le sol ne se ratisse pas. Les pommes de pin ne jouent plus seules. Sous les jupes des arbres, un entresol, aérien et solide, prend forme. Les branches mortes t’accueillent méli-mélo. Tes jambes tournent folles, ton corps avance en soubresauts.
Le cœur de la ville se démultiplie en racines surgies çà et là. Le cœur de la ville est un petit territoire où peut naître une micro-forêt primaire. Le cœur dans le corps loge la chaleur, les sentiments et les palpitations. La micro-forêt s’installe là, exactement. Il n’y a pas de cœur de la ville, la ville est un amoncellement de quartiers, de zones, d’espaces, de talus, de béton, de crasse. Dans chaque quartier, dans chaque zone du quartier, dans l’espace entre le talus et le béton, sur le talus entre le béton et l’espace vierge, un cœur surgit. On ne sait pas pourquoi là exactement, ni la véritable raison.
Au creux du pré le matin, sur ses hauteurs pour la sieste, dans la descente à seize heures, derrière les arbres le soir. Depuis la maison, je suivais leur arpentage régulier et immobile comme une pirouette de la terre. L’hiver, j’attendais ce jour béni du retour à l’air libre, leurs pre- miers pas étourdis après les mois d’étable, leurs sauts de joie et leurs ruades désarticulées qui dévalaient la pente. Nous partagions l’euphorie de courir dehors, de sen- tir sous nos pieds l’irrégularité du sol, l’air frais, après l’enfermement.
Sans heurter mes proches, imperceptiblement, je change de mode d’exis- tence et de mode de perception. Ma vision du monde et de moi-même se transforme. J’ai déballé comme un cadeau ce bien invisible que je trimbalais comme une tare : le savoir et l’imagination ne font qu’un.
Naïa, comme toutes les vaches du troupeau, fera un veau par an, depuis ses trois ans et demi jusqu’à ses quinze ans. La gestation dure neuf mois, exactement comme nous, mais sans tout le tralala. Le petit veau reste six à huit mois avec sa mère. Puis il part à l’abattage, pas très loin de la ferme. C’est comme ça. Quand on lui prend son veau, la vache ne s’en rend pas compte tout de suite. C’est quand le veau ne vient pas téter qu’elle réalise. Elle meugle pendant tout un jour, toute une nuit.